DÉNOMINATION
HISTORIQUE
Période
seconde moitié du XXe siècleAnnée(s) de réalisation
1974Commanditaire(s)
La Gironde (société anonyme d'HLM) CILG (comité interprofessionnel du logement girondin) Lourties – COFEGI (compagnie française d’études et de gestion immobilière)Concepteur(s)
Jean Dubuisson, Francisque Perrier (architectes du plan de masse) SOCAE Atlantique (entreprise maître d'œuvre) Christian Grange, Jean-Jacques Roussely (architectes d'opération du Clos de Saige)A GRANDS TRAITS
En 1974, les dernières tranches des quelques 1435 logements de l'ensemble d'habitations de Saige-Formanoir sont livrés à leurs occupants.
En dehors du cadre national des zones à urbaniser en priorité (ZUP), l'opération immobilière de Saige-Formanoir est l'une des plus importantes réalisations de l'agglomération bordelaise, singulière à la fois dans ses formes et ses architectures qui mêlent habilement 8 tours de 18 étages à des petits collectifs entourés de verdure, dues à l'architecte grand prix de Rome Jean Dubuisson (1914-2011).
DANS LE DÉTAIL
Le domaine de Saige Fort-Manoir est un domaine agricole et viticole situé au sud-ouest du bourg de Pessac. Il appartient au XIXe siècle à la famille Glady, qui se sépare de la trentaine d'hectares en deux fois entre 1898 et 1918. Il comprend une demeure en pierre de taille couverte d'ardoises des dépendances agricoles et viticoles (chai, cuvier, grange-étable). Au cours des années 1950, la société Promocim acquiert les 34 hectares du domaine en vue de son aménagement mais les revend en 1963 à la société d'HLM La Gironde (filiale du CILG). Deux autres sociétés deviennent propriétaires de terrains : la société immobilière de Saige et la COFEGI. Toutes trois s'accordent pour un plan de masse commun élaboré par l'architecte parisien Jean Dubuisson.
Ce dernier s'associe à son beau-frère Francisque Perrier, architecte bordelais avec qui il collabore déjà pour le bâtiment de la Foire à Bordeaux-Lac. En 1960, ils se voient accorder par le ministère de la reconstruction une demande d'aménagement de trente hectares et la réalisation de 2000 logements. En mai 1963, un plan d'urbanisme de détail réalisé par la toute nouvelle agence d'urbanisme de l'agglomération bordelaise (Pierre Mathieu et Jean Marty, architectes-urbanistes) vient compléter le dossier sur les besoins et la répartition des équipements (scolaires, tertiaires, culturels, etc.).
En 1964, Dubuisson et Perrier livrent le plan de masse du "Domaine de Saige", premier ensemble mis en chantier tout proche de la future rocade et propriété du groupe Lourtiès-COFEGI. Elle se compose de 144 logements individuels répartis dans des barres en R+1 dont les plans et le suivi de l'opération sont confiés aux architectes bordelais Christian Grange et Jean-Jacques Roussely. Ils élaborent des bâtiments sobres mais dans le respect des canons régionaux, avec toits à deux pans et croupe couverts par des tuiles creuses. À l'image des modèles de cité-jardin, la nature est au cœur de ces ensembles dont les formes géométriques dégagent plusieurs espaces verts collectifs, dont certains conservent des arbres de haute tige de l'ancien parc. Les travaux débutés en 1968 s'achèvent en 1970.
En parallèle, Dubuisson et Perrier livre un nouveau plan de masse du reste de l'opération : en 1968, une dizaine de bâtiments aux formes géométriques sont prévus, la plupart sur quatre niveaux, trois seulement atteignent dix étages. Il faut attendre 1970 et l'intégration de l'opération dans la procédure nationale du "prêt à construire" pour voir apparaître les huit tours de 18 étages essaimées au centre du plan. Pour éviter la perte de luminosité, les architectes font des pignons orientés est-ouest les façades principales dotées de balcons. Ce système réduit considérablement les ombres portées par les tours voisines.
Le plan de masse et de répartition définitif du reste de l'opération approuve la construction de 1400 logements répartis dans huit tours R+18 et six immeubles de forme géométrique de quatre à cinq niveaux.
La bascule PAC ou "prêt à construire"
Le Ministère du logement instaure, par la circulaire du 31 janvier 1970, la procédure du "prêt à construire", qui permet au maître d’œuvre de remettre au maître d'ouvrage un ensemble "clé en main". Saige-Formanoir fait partie de la dizaine d'opérations en France à expérimenter cette procédure. Pour parvenir à commercialiser des bâtiments bon marché et industrialisés, la société maître d’œuvre (SOCAE Atlantique) doit faire baisser les coûts et réviser le plan de masse avec la suppression des trois tours en R+10 et des bâtiments adjacents remplacés par la construction de huit tours en R+18. Toutefois, cette architecture sérielle n'en est pas moins soignée.
Un programme et une architecture unaniment reconnus
Toutes les publications sur l'urbanisme et l'architecture de la seconde moitié du XXe siècle s'accordent sur la qualité de l'ensemble cet ensemble "immanquable" depuis la rocade (Bordeaux à la conquête de la modernité (2005) ; Grand Bordeaux et Gironde. Architectures contemporaines (2014) ; Chaban le bâtisseur (2015).
Il en ressort souvent l'inspiration de l’œuvre de l'architecte Mies van der Rohe, notamment les tours du Lake Shore Drive appartments à Chicago (1951), dont le traitement vertical des façades étroites semble assez proche. Jean Dubuisson reproduit surtout les modèles de tours de 18 étages et de bâtiments de 4 niveaux qu'il implante sur les hauteurs de Chambéry, à la ZUP de la Croix-Rouge à partir de 1963. Il reprend et adapte des modèles "anciens", comme ceux de la cité des Basses-Terres à Stains (93), aux angles sans poteau apparent, construits dès le milieu des années 1950. Les horizontales et les verticales forment l'ADN des projets de grands ensemble de l'architecte : la verticalité des tours est accentuée par des lignes pour mieux contraster avec les horizontales des bâtiments plus bas qui les entourent. Pour ce faire, il emploie le béton blanc qui tranche avec des bandeaux ou des lignes peintes qui sont au service de l'étirement et de la légèreté des silhouettes.
Ce rendu architectural est une des conséquences de la mise place du "procédé Camus", inventé en 1951, et qui fait reposer la structure préfabriquée d'un bâtiment sur des murs de refends perpendiculaires aux façades, ainsi dégagées pour la mise en place de balcons par exemple. Pour l'ensemble de Génicart à Lormont, Francisque Perrier alors architecte de la ZUP, reprend à son compte l'architecture de Saige.