DÉNOMINATION
HISTORIQUE
Année(s) de réalisation
1968Commanditaire(s)
Mairie de BordeauxConcepteur(s)
Agence Anthony Lucien BéchuPROTECTION(S)
Plan Local d'Urbanisme
A GRANDS TRAITS
Le projet de crèche et halte d’enfants rue Louis Geandreau est confié en 1963 à l’agence d’Anthony Lucien Béchu, qui le livrera en 1968. Le bâtiment est implanté derrière le centre commercial de l’Europe, dans un espace qui avait été initialement pensé par les urbanistes pour faire partie de la “coulée verte” au milieu des tours.
DANS LE DÉTAIL
En 1962, un million de réfugiés d’Algérie arrivent en France, où ils sont relogés en urgence dans les grands ensembles qui ont émergé dans les années 50, comme celui du Grand Parc à Bordeaux. Face à cet afflux de population ainsi qu’à de nouvelles obligations légales concernant les grands ensembles, le Grand Parc doit se doter en urgence d’équipements pour tous ses habitants, y compris les plus jeunes.
Le projet lancé par la mairie se compose de deux corps de bâtiments indépendants : une crèche, où les enfants sont inscrits à l’année, et une halte-garderie, où les parents peuvent confier leur enfant à la journée pour la modique somme de 1 franc. Cet équipement implanté à proximité des commerces facilite la vie des habitants qui peuvent y laisser leurs enfants le temps d'une course.
La crèche et la halte garderie ont deux entrées distinctes. À l’époque, les règles d’hygiènes très strictes des établissements de la petite enfance faisaient que les parents n’avaient pas le droit d’entrer dans la crèche et que les enfants devaient se changer en arrivant. Chaque entrée comporte deux parties : un garage à voitures d’enfant où les mères déposaient leurs bébés dans leur landaus pour les récupérer le soir, et un vestiaire, par lequel les enfants plus grands passaient obligatoirement pour entrer dans la crèche. Bien que les deux bâtiments soient séparés, le projet est commun.
La partie crèche, la principale, est construite autour d’un patio intérieur de 9m sur 9m. Celui-ci dessert les espaces consacrés au sommeil et à la propreté des enfants, alors que les espaces de jeux et d’éveil communiquent avec l’extérieur du bâtiment. Ce patio d’agrément est aussi fonctionnel : il permet à la directrice de l’établissement d’accéder rapidement à tous les dortoirs.
Les murs de la crèche présentent des utilisations diverses du béton et du verre. Des murs d’enceintes en béton enduit de rouge soutenant des grandes poutres en bois lamellé-collé alternent avec des ensembles vitrés supportés par des refends. Les murs de la halte enduits de blanc sont surmontés d’un bandeau vitré. Le tout se trouve sous un toit noir en terrasse. Cette structure, typique des années 1960, se retrouve dans d’autres équipements du Grand Parc comme l’église de la Sainte Trinité (André Conte et Georges Prymersky).
Propreté politique
Pour la partie crèche, augmenter le nombre des « salles de propreté » ainsi que leur taille était une demande de la mairie de Bordeaux après le rendu de l’avant-plan en 1963. Dans le plan de 1967, les enfants passent nécessairement par une des trois salles de propreté (une pour les petits, une pour les moyens, et une pour les grands) pour entrer et sortir. L’organisation des pièces permet de maintenir en place un univers aseptisé à l’intérieur de la crèche.
L’aile nord-ouest du bâtiment est une enfilade de pièces consacrées à la propreté du linge et à la préparation de biberons aseptisés. Dans les années 60, les employés des crèches, s’ils jugeaient que le linge d’un enfant n’était pas propre ou qu’il n’était pas nourris convenablement, avaient le droit de prendre les mères à part ou de les obliger à accepter les biberons qu’ils préparaient pour leurs enfants (Un débat qui perdure : le corps de l’enfant dans les crèches françaises du XIXe siècle à aujourd’hui, Catherine Bouve, 2019).
Une nouvelle génération de crèches
Une des raisons de la résurgence de l’idéal de la mère au foyer est que la fin des années 50 voit une vague de critique des carences affectives provoquées chez les enfants par les normes d’hygiènes extrêmement strictes en vigueur dans les crèches (travaux sur l’hospitalisme de Bowlby et Spitz).
Le plan finalisé de 1967 comporte de vastes espaces consacrés à l’éveil, à l’intérieur et à l’extérieur. L’architecture de la crèche du Geandreau répond à l’émergence d’une nouvelle génération de crèches, qui offrent aux enfants des espaces d’éveil et de socialisation. Ceux-ci font de la crèche une institution qui n’est pas en concurrence avec la maternité, mais au contraire la complète.
Dans sont Histoire des cités de banlieues (2019), le journaliste Xavier de Jarcy explique que les cités comme le Grand Parc répondent à une volonté de façonner une population saine, morale, et productive qui remonte aux années 20. Dans les années 60, l’idéal de la mère au foyer reste fort dans les classes supérieures et les femmes qui laissent leur enfant à la crèche pour aller travailler sont vues comme des « mauvaises mères » (Catherine Bouve, Le corps de l’enfant dans les crèches : un débat qui perdure, 2019). Selon cette autrice, la politique de construction de crèches à cette époque se révèle un moyen efficace d’exercer un contrôle sur les conditions de vies des enfants de mères salariées. Cette remise en question reste contemporaine : à l’époque le système de crèche et celui, novateur, de la halte, représentaient un progrès pour les mères qui pouvaient accéder au travail et à la consommation.